Taxonomie verte : Défis et opportunités dans un cadre réglementaire encore incertain

Qu’est-ce que la taxonomie européenne ?

Pour parvenir à ses objectifs climatiques 2030, et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, l’Union Européenne n’a d’autre choix que de compter sur les investisseurs et les entreprises pour rediriger les flux de capitaux vers des activités durables. Cependant, jusqu’à récemment, aucun standard ni régulation ne définissait clairement en quoi consistait une activité durable. Pour combler ce vide, la Commission européenne a créé dès 2018 le principe de “taxonomie verte” qui consiste à définir « un système commun de classification des activités économiques durables ».[1]

Qu’entend-on par activité durable selon la taxonomie ?

En juin 2020, le Parlement Européen et le Conseil ont adopté un règlement définissant cette taxonomie.

Les travaux menés par un groupe d’experts (le Technical Expert Group, dit TEG) ont permis de fixer les règles : pour être alignée sur la taxonomie européenne, (et donc être durable), l’entreprise doit vérifier plusieurs critères.

Elle doit répondre à au moins l’un des six objectifs suivants sans impacter négativement l’un des cinq autres (principe du «do no significant harm» [2]) :

1. Atténuation du changement climatique ;
2. Adaptation au changement climatique ;
3. Utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines ;
4. Transition vers une économie circulaire ;
5. Prévention et réduction de la pollution ;
6. Protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Elle doit respecter ce qu’on appelle les garanties minimales, notamment en matière de droits de l’Homme, droits sociaux et droit du travail.

En complément des activités dites « durables », la taxonomie définit deux autres catégories d’activités, tout aussi indispensables pour la transition à engager.

Tout d’abord, les activités « habilitantes » : activités considérées comme non durables au titre de la taxonomie, mais permettant le développement de secteurs durables contribuant eux-mêmes à l’un des six objectifs. Par exemple les composants ou combustibles nécessaires à cette filière.

Enfin, les activités « transitoires », pour lesquelles il n’existe pas d’alternative bas carbone viable mais qui s’engagent à recourir aux meilleures techniques disponibles pour la limiter. Par exemple la production d’aluminium recyclé [3].

Où en est le processus réglementaire ?

Il a été engagé il y a plusieurs mois déjà. Suite à la publication des préconisations du groupe d’experts (TEG) sur les critères de sélection des activités contribuant aux deux premiers objectifs liés au changement climatique, deux actes ont été adoptés à ce jour, respectivement en juin et juillet 2021.

Le premier définit la liste de ces activités4 éligibles, et le second, précise les obligations de reporting relatives au climat [4].

Actuellement, près de 80 activités voient leurs critères d’alignement entièrement définis. Le processus en cours permettra d’étoffer au fur et à mesure le règlement et les critères.

Dernière publication en date : celle d’un acte délégué complémentaire, intégrant le gaz et le nucléaire comme une énergie de transition, et prochaine envisagée : le cadrage des activités liées à l’agriculture, à paraître sur 2022.

C’est donc dans un cadre règlementaire encore mouvant, que les acteurs financiers et que les entreprises non financières doivent se préparer à publier des informations sur l’exercice 2021.

Quelles obligations pour les entreprises ?

Toutes les entreprises soumises à la NFRD (La Directive Européenne sur le Reporting Extra-Financier) devront publier au sein de leur Déclaration de Performance Extra Financière (DPEF) la part des activités durables, en pourcentage 1) de leur chiffre d’affaires, 2) de leur CAPEX [5], et 3) de leur OPEX [6].

Pour cette première année de publication, le reporting de 2022 sur 2021 a été simplifié. Il vise uniquement les deux premiers objectifs de la taxonomie, c’est-à-dire ceux liés au changement climatique, et il s’intéresse à la part d’activités éligibles à la taxonomie, et pas encore nécessairement à la part des activités alignées. De manière générale, les régulateurs ont rappelé l’importance des éléments narratifs, via lesquels l’entreprise devra détailler les hypothèses prises afin d’identifier les activités éligibles et calculer les différents KPIs.

En 2023, seuls les deux premiers objectifs liés au changement climatique resteront concernés, mais le reporting se fera sur les activités alignées sur la taxonomie. En plus d’identifier leurs activités éligibles sur la liste préétablie, les entreprises devront vérifier que celles-ci respectent bien les critères de contribution substantielle à l’un des objectifs, le principe du « do not significant harm » ainsi que les garanties minimales. Les entreprises seront pour ce second exercice contraintes d’utiliser le template de reporting préétablie par la Commission.

A partir de 2024, les quatre objectifs suivants de la taxonomie seront progressivement intégrés au périmètre de l’exercice.

Concrètement, comment s’organiser ?

Pour les entreprises, l’exercice consiste à identifier lesquelles de leurs activités sont éligibles, c’est à dire se retrouvent dans la liste publiée par la Commission, et parmi celles-ci, lesquelles sont alignées avec la taxonomie, c’est à dire lesquelles respectent les objectifs mentionnés plus haut.

Concrètement, une société de transport dont l’activité est éligible au regard de la taxonomie verte aura logiquement une grande part de son chiffre d’affaires concernée par l’exigence de reporting sur l’éligibilité. Mais pour savoir si son activité est alignée avec la taxonomie, il lui faudra encore définir si les modes de transports employés sont alignés avec les critères retenus pour cette activité, soit, pour le cas du transport, le respect du seuil relatif aux émissions de CO2, fixé à 50 g/km.

Une fois le scope des activités alignées identifié, il s’agira ensuite de récupérer les données comptables associées.

Avec un point d’attention : en l’absence de chiffre d’affaires éligible à la taxonomie, une entreprise n’est pas nécessairement libérée de toute obligation de reporting. Elle peut tout de même avoir un CAPEX ou OPEX éligible. En effet, une entreprise peut avoir des activités qui ne sont pas considérées comme durables, mais investir ou avoir des dépenses dans des activités qui le sont (CAPEX pour la rénovation thermique de ses bâtiments, OPEX pour la recherche et développement).

Les difficultés rencontrées par les entreprises

Elles tiennent pour beaucoup au cadre de l’exercice, dont les règles ne sont pas totalement fixées et laissent encore place à l’incertitude. Incertitude sur le calendrier comme déjà évoqué, mais aussi dans le détail de la mise en oeuvre, pour lequel des demandes de précisions sont attendues.

Côté indicateurs financiers, les définitions du chiffre d’affaires et du CAPEX se calquent sur celles de la Directive comptable 2013/34/UE et les normes IFRS, et sont donc déjà régulièrement reportées par l’entreprises. En revanche, côté OPEX, la définition est moins claire et pose difficulté : plusieurs acteurs ont même dénoncé un manque de cohérence.

Dans ce calcul des % de CA vert ou % CAPEX/OPEX vert, après le calcul des dénominateurs, la principale difficulté rencontrée par les entreprises est le calcul du numérateur, qui passe préalablement par l’identification de ces activités éligibles à la taxonomie. Pour le faire, l’UE propose de s’appuyer sur un tableau d’équivalence des activités sur la base des codes NACE, mais ces derniers ne seront probablement pas toujours suffisants pour identifier l’éligibilité : ils ne sont pas assez précis, trop macro, et les entreprises ont du mal à s’y retrouver.

L’analyse de chaque activité, son respect ou non des critères d’alignement, potentiellement complexes ou mal documentés, va aussi nécessiter d’investir un temps considérable, du moins sur les premiers reportings.

L’étape suivante qui consiste à réaligner critères environnementaux et langage comptable, comporte aussi quelques obstacles à lever. Elle exige de fait un dialogue interne rapproché entre contrôleurs de gestion, comptables et équipes RSE, dialogue qui n’est pas encore toujours établi dans les entreprises.

Enfin, pour les entités actives dans plus d’une activité, le volume de données sera conséquent et les sources d’information seront multiples. Un tel traitement de l’information ne pourra probablement pas se faire sans l’utilisation d’outils de collecte, de consolidation et de reporting adaptés. Et cette digitalisation, cette industrialisation des processus de remontée et traitement de l’information sera d’autant plus nécessaire que, dès 2024, il sera demandé d’analyser l’évolution des KPIs dans le temps. Enfin, si aucune vérification n’est demandée pour ce reporting 2022, il est fort probable que les exigences à l’avenir se renforcent avec, pour conséquence, un besoin accru en termes d’auditabilité des pratiques et des données publiées. Le manque de données, leur défaut de robustesse peut aussi constituer un frein à l’alignement.

Opportunités pour les entreprises

Plus qu’une contrainte, la taxonomie verte européenne doit être envisagée comme un nouveau cadre qui autorise les entreprises à (re)penser leur stratégie dans une logique de durabilité et leur permet de se rendre attractives aux yeux des investisseurs.

Avec des co-bénéfices à saisir, comme une meilleure appropriation du détail de leur business, comme le rapprochement à organiser entre les équipes financières et RSE, de plus en plus nécessaire à l’heure où le reporting intégré commence à se généraliser. Ou encore comme une meilleure affectation des ressources et des investissements, une identification des postes de réductions de coûts (réalisables en investissant dans des technologies moins énergivores par exemple) ou même de nouveaux marchés (pour des produits plus vertueux).

Au-delà de l’impératif réglementaire et même si elle n’est pas directement concernée, l’entreprise renforce son attractivité quand elle intègre le référentiel taxonomie : elle démontre son engagement en affichant une part importante d’activités ou d’investissements durables. Elle s’ouvre la possibilité d’accéder à des financements à des taux plus intéressants comme les prêts verts. Elle se démarque dans les appels d’offres. Ou encore, grâce à l’influence de la taxonomie européenne, elle conforte son statut précurseur d’entreprise européenne pour attirer des investissements étrangers.

Conclusion

C’est dans un contexte réglementaire encore évolutif que les entreprises vont donc commencer ce reporting Taxonomie 2021. Avec des investissements importants à engager même si les règles pour cette année ont été simplifiées. Et avec à terme, la nécessité de s’équiper, de s’outiller, si elles veulent être en capacité de répondre aux exigences croissantes à venir, à savoir l‘intégration des quatre autres objectifs environnementaux de la taxonomie.

Cette démarche sera surtout l’occasion pour elles de repenser leur stratégie, réaffirmer leurs engagements et renforcer leur attractivité auprès des parties prenantes, avec à la clé des opportunités en termes de réductions de coûts, de nouveaux marchés et de financements.

[1]https://finance.ec.europa.eu/sustainable-finance/tools-and-standards/eu-taxonomy-sustainable-activities_fr

[2]https://commission.europa.eu/documents_fr

[3]https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/283166-neutralite-carbone-la-taxonomie-europeenne-en-six-questions

[4]https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32021R2139&qid=1641376327393

[5]Le CAPEX (pour «capital expenditure») correspond au total des dépenses d’investissement corporel et incorporel dédiées à l’achat d’équipement professionnel.

[6]Les OPEX (pour «operational expenditure») correspondent aux dépenses d’exploitation ou charges courantes pour exploiter un produit, une entreprise, ou un système.

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